Les 4 vérités de Dr Maurice Simo Djom sur le processus de décentralisation au Cameroun
Dans une interview exclusive accordée à votre journal et Afrique-54.com, Dr Maurice Simo Djom, Chercheur en geoéconomie, pense que si la “décentralisation est effective, les collectivités se prendront en charge et certaines appliqueront des méthodes de gestion proches du management des entreprises. Cela créera de l’émulation. Et nous savons que la compétition est la clé du progrès “.
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La décentralisation est une politique de gestion de plus en plus adoptée par de nombreux Etats dans le monde comme en Europe et en Afrique. Pourquoi cette ruée vers ce mode de gouvernance?
La décentralisation rapproche les centres de décision des populations concernées. Ce qui induit une gouvernance de proximité. Les citoyens se sentent comptables de leur destinée, car ils peuvent vérifier que leur voix compte. Voilà pourquoi la participation populaire électorale et para-électorale est plus importante dans les contextes de décentralisation. A contrario, une des raisons de l’abstention des citoyens en matière électorale est la centralisation qui empêche les électeurs de sentir qu’ils sont concernés. Ils ont l’impression que la gouvernance est une affaire d’une poignée de bureaucrates assis dans leurs bureaux feutrés dans la capitale politique. Dans le monde, les expériences de centralisme à la française sont contestées, car l’Etat central y affaiblit les collectivités.
Et pensez-vous qu’une décentralisation effective peut sortir l’Afrique centrale du sous-développement ? Si oui, à quelle condition ?
La décentralisation peut faire partie des solutions aux défis de gouvernance que rencontre la sous-région de l’Afrique centrale, à condition que ceux qui détiennent le pouvoir central consentent à lâcher prise. Jusqu’ici, ce n’est pas le cas, l’administration est encore hyper centralisée. Presque toutes les décisions sont prises dans la capitale.
En 20 ans de pratique de la décentralisation au Cameroun, 1% des ressources seulement a été transmis aux collectivités décentralisées. Or, si la décentralisation est effective, les collectivités se prendront en charge et certaines appliqueront des méthodes de gestion proches du management des entreprises. Cela créera de l’émulation.
L’enjeu, c’est le contrôle des ressources budgétaires et on la création de la richesse. Pour garder continuellement la main sur les budgets, d’investissement et de fonctionnement, les dirigeants centraux se battent corps et âme pour conserver le droit de décider à tous les niveaux.
En 20 ans de pratique de la décentralisation au Cameroun, 1% des ressources seulement a été transmis aux collectivités décentralisées. Or, si la décentralisation est effective, les collectivités se prendront en charge et certaines appliqueront des méthodes de gestion proches du management des entreprises. Cela créera de l’émulation. Et nous savons que la compétition est la clé du progrès. Pour me résumer je dirai qu’une décentralisée bien appliquée accroît les chances du progrès général mais obère les pouvoirs des roitelets de la république.
Quelles pourraient être les limites de ce mode de gouvernance ?
La décentralisation peut affaiblir l’autorité centrale de l’Etat si elle n’est pas encadrée. Elle peut également accroître les inégalités entre les collectivités décentralisées. Pour faire face à ces risques, l’exécutif devra mettre en place des dispositifs de contrôle central, car la décentralisation n’est pas synonyme de laisser-aller. Un Etat qui applique la décentralisation n’est pas nécessairement un Etat faible. Tout dépend des leviers. Les adversaires de la décentralisation prétendent qu’elle induira la sécession. Rien n’est plus faux. Autant un Etat central peut se complaire des décennies durant dans la médiocrité, autant un Etat qui applique al décentralisation peut construire une gouvernance efficace et disciplinée. Tout est question de volonté politique.
Quelle lecture faites-vous du processus de décentralisation au Cameroun ?
Je le disais tantôt, ce processus est d’une lenteur agaçante aux yeux de ceux qui savent qu’ailleurs le processus de décentralisation se fait dans un plan quinquennal. Le pouvoir central est rongé par le complexe du gâteau. Il conçoit la gestion publique comme une affaire de partage. Voilà pourquoi son but est de contrôler et de conserver les mécanismes de décision.
Le pouvoir central est rongé par le complexe du gâteau
Si le pouvoir central modifie sa conception du management public et l’oriente vers la production, la décentralisation recevra un coup de fouet, car il donnera ainsi aux communes ainsi qu’aux régions l’opportunité de produire davantage. Jusqu’ici, la tendance est de paralyser les collectivités décentralisées avec des succédanés du centralisme tels que les délégués du gouvernement auprès des communautés urbaines.
Docteur, nous ne pouvons pas mettre un terme à cet échange sans à aborder une question qui est d’actualité : les mouvements de revendications dans les régions Nord-Ouest et du Sud-Ouest au Cameroun. Quel impact peut avoir la création les régions sur cette crise ?
Les mouvements de revendication en œuvre depuis octobre 2016 sont un champ d’expérimentation des dérives du jacobinisme. La colère des uns et des autres est légitime, elle se résume à peu de choses. A savoir que des gens ont essayé une autre forme de gouvernance publique, directe, auto-satisfaisante, entre 1961 et 1972.
Depuis 1972, ils subissent une gouvernance centralisée, lourde, budgétivore, qui ne produit malheureusement pas de résultat, sinon d’enrichir une poignée de personnes qui vivent dans la capitale. Ces gens aimeraient appliquer la forme de gouvernance qu’ils ont expérimentée pendant 11 ans. Les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest sont heureusement les seules à avoir essayé autre chose, et à pouvoir comparer ce qu’ils ont essayé et ce qu’ils subissent. C’est l’une des raisons pour lesquelles la colère gronde dans ces régions et non ailleurs.
Les Camerounais veulent se sentir comptables de leur destin, prendre des risques, agir et changer ce qu’ils peuvent changer
La mise en place des régions doit être une rupture de paradigme, il faut que tout le monde sache qu’on a changé de logiciel, qu’on avance désormais vers une gouvernance qui est orientée vers les populations plutôt que de tourner autour de l’administration. Si la mise en place des régions se fait dans le même esprit de bureaucratie budgétivore et de centralisme rigide, la frustration persistera. Les Camerounais veulent se sentir comptables de leur destin, prendre des risques, agir et changer ce qu’ils peuvent changer. Malheureusement, cette détermination est paralysée, on leur demande d’attendre que Yaoundé tousse pour qu’ils éternuent.
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