Gouvernance : La décentralisation peut-elle sortir l’Afrique Centrale du sous-développement ?

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Gouvernance : La décentralisation peut-elle sortir l’Afrique Centrale du sous-développement ?

Les réponses à cette question ont  été diverses à la faveur d’une enquête qui nous a permis de scruter les avancées enregistrées concernant l’implémentation de ce mode d´organisation politique et administrative sur l’ensemble des 10 pays de l’Afrique Centrale et de recueillir des avis de plusieurs acteurs. Lire notre enquête.

 

 

Dans son ouvrage « Démocratisation et décentralisation: genèse et dynamiques comparées des processus de décentralisation en Afrique subsaharienne »  publié en 2003,  Charles Nach Mback   indique  que l’Afrique subsaharienne a été marquée  par « une euphorie décentralisatrice ». L’auteur présente celle-ci comme « le résultat d’une volonté des acteurs africains de refonder le système de gouvernance sur une légitimation de l’État à partir de la base ». La mise en œuvre de cette nouvelle forme de gouvernance varie d’un pays à un autre en Afrique centrale.

L’Angola emprunte la voie de la décentralisation

Dans sa thèse  intitulée «La décentralisation en Angola et au Mozambique : du discours à la consécration juridique»,  présentée pour obtenir le grade de docteur de l´Université de Bordeaux, Arquimedes João F. Varimelo, nous apprend qu’ « après avoir adopté la centralisation comme mode d´organisation politique et administrative, l´Angola a  décidé d’emprunter la voie de la décentralisation ».

A côté de cette volonté politique, l’Union Européenne a promis en mars 2018, de soutenir le pays dans marche vers la décentralisation effective comme l’indique  l’Agence de presse Angolaise.

« Un gros échec » au Cameroun

Au Cameroun, la décentralisation est toujours plombée par une maigre dotation financière aux communes, les régions n’étant pas encore créées.  La Dotation Générale de la Décentralisation (DGD) en 2017 était de 0,28%  du budget de l’Etat soit 10 milliards FCFA. Une dotation estimée trop faible par l’Association des Communes et villes unies du Cameroun (CVUC). Celle-ci conseille à l’Etat de la porter au moins à 10%.

Cette organisation suggère  à l’Etat « le recrutement de 2000 cadres techniques et professionnels au profit des communes ». En plus de 15 mois d’arriérés de salaire de certains  délégués du gouvernement, maires et adjoints aux maires accusés,  le pays attend la  finalisation du statut des élus locaux et des personnels des collectivités territoriales décentralisées.

 

Interrogé sur le processus de décentralisation au Cameroun, Saint Eloi Bidoung,  1er Adjoint au Maire de Yaoundé 6 de juger : « Au stade actuel, le processus de décentralisation au Cameroun, je dois l’avouer, est un gros échec. D’abord parce que ceux qui ont pensé la décentralisation ne sont pas ceux qui ont été ou sont en charge de son implémentation. Et je crois que c’est quelque chose qui a échappé à beaucoup d’observateurs. La décentralisation, cela fait des années qu’on en parle. On parle de transfert de compétences. On a transféré quoi ? … la DGD a toujours existé. Nous n’avons jamais su là où elle est passée. Vous pensez qu’il y a transfert de compétences lorsqu’une administration transfert une enveloppe de 500 000 F Cfa ? ».  Selon lui, « le déficit de la décentralisation est l’une des causes de la crise anglophone ».

Sortie de l’impasse  au #Gabon

Après de nombreux blocages  qui ont plombé sa mise en œuvre,   le projet de loi organique sur la décentralisation et le transfert des compétences de l’Etat aux collectivités locales a été adopté le 13 septembre 2010. C’est au lendemain des élections locales du 14 décembre 2013 que le gouvernement et la société civile vont lever des voix pour appeler à l’application de la loi n°15/96 du 6 juin 1996.  Ce processus a pris un nouveau ton avec le lancement du Fonds d’Initiative Départementale le 21 avril 2018 par le président Ali Bongo qui a déclaré dans son discours: « La décentralisation n’est pas une option, c’est une nécessité ».

 

Tchad,  l’application des textes fait défaut

Interviewé à Yaoundé sur la pratique de ce mode  de gouvernance au Tchad, Etat unitaire décentralisé, Boukar Mamadou Mamadou, ancien sous-préfet de Dodinda au Tchad, avance que « le Tchad, à l’instar d’autres pays du monde ou d’Afrique centrale connaît des avancées en matière de décentralisation. Mais de quelles avancées s’agit-il ? Il faut le reconnaître, ces avancées sont avant tout textuelles vu le nombre croissant des textes et lois sur la décentralisation, la constitution de 96 au Tchad qui consacrent les résultats du CNS de 93, (la loi 002 de 2002) le schéma directeur de la décentralisation et une ordonnance en préparation après l’adoption de la 4e République ». « … Le Tchad a les meilleurs textes en matière de décentralisation mais c’est leur application qui fait défaut », renchérit-il.

La RCA sur ses premiers pas

Si les  recherches nous ont permis de constater que la notion de décentralisation est presque inexistante au menu des politiques publiques en Guinée Equatoriale, il est à relever qu’en RCA, il  existe bien une loi, celle n°96.016 du 13 janvier 1996 portant sur le découpage du territoire en sept régions. Elle fixe notamment les limites respectives des régions. La RCA elle reste dans ses premiers pas.

L’ego fragilise la décentralisation en RDC

En RDC où la Constitution a créé les entités territoriales décentralisées (art.5 al.2 de la constitution du 18 février 2006),  la décentralisation est bien avancée.  Mais le « problème ne se situe pas à ce niveau car la décentralisation est déjà consacrée et effective, notre problème est celui du développement influencé par la décentralisation actuelle », soulignait le juriste congolais Hervé Lubunga Mwindulwa en 2007 dans son mémoire intitulé  «  Impact de la décentralisation territoriale sur le développement ». L’auteur affirme d’ailleurs que la décentralisation subit l’égoïsme des décideurs.

Encore un slogan « creux » au Congo

 Ancien Etat unitaire centralisé depuis l’indépendance jusqu’en 2003, année à laquelle tous les textes législatifs et règlementaires nécessaires à la mise en œuvre ont été adoptés, le Congo peine  à être plus concret pour ce qui est des textes d’application.  « La décentralisation n’est réduite qu’à un discours politique et démagogique creux », pense Ghys Fortuné Dombe Bemba, journaliste congolais dans un article publié sur  www.zenga-mambu.com .

Rwanda, un  cas de réussite

« Le processus de décentralisation au Rwanda est un des ambitieux programmes de réforme lancé  dans ce pays  en développement où « l’adoption de la Stratégie de Réduction de la Pauvreté et la Politique de Décentralisation Nationale en l’an 2000, le GdR a mis en valeur les principes de bonne gouvernance, en particulier à travers le processus de décentralisation », selon Guillaume NICAISE, consultant indépendant en affaires publiques.

« Le  Rwanda est  un des modèles africains en matière de décentralisation et de développement local, qui inspire aujourd’hui le Togo » selon La Lettre Communale publiée par l’Union des Communes du Togo (UCT) qui sollicite le leadership du président rwandais, Paul Kagame, Président en exercice de l’UA, « pour porter un plaidoyer auprès de ses pairs pour une meilleure politique de décentralisation dans les Etats de l’Afrique de l’Ouest ».

Que fait la Banque Mondiale ?

La Banque Mondiale accompagne plusieurs pays dans le processus de décentralisation. En 2016, elle a  octroyée 64 millions d’euros au Cameroun pour  le co-financement de plus de 2 500 micro-projets dans les 360 communes. En rencontrant en début mai 2018 Georges Elanga Obam, patron du tout  nouveau Ministère de la Décentralisation et du Développement Local créé le 2 mars 2018 par Paul Biya, Elisabeth Huybens, Directrice des Opérations à la Banque mondiale pour l’Angola, le Cameroun, le Gabon, la Guinée équatoriale, ainsi que Sao Tomé et Principe, a réitéré le soutien de cette institution au Cameroun engagé dans le processus de décentralisation.

L’apport de cette institution est visible au Gabon où elle a appuyé en 2016 la municipalité de Libreville dans la mise en place de la décentralisation à hauteur de 100 millions de dollars.

En RDC, finançant le Projet de Réforme et Rajeunissement de l’Administration Publique (PRRAP), elle a mis 9 millions USD au profit de la décentralisation en 2018.

 

 

Des verrous à faire sauter

Nos différentes recherches nous ont permis de réaliser que la décentralisation – qui rapproche les sphères de décision des populations cibles – est, en Afrique centrale, confrontée à plusieurs obstacles comme  le découpage territorial qui requiert plus de moyens matériels et humains ; l’égoïsme des gouvernants; les détournements de fonds publics;  l’impunité ; l’insécurité ; le clientélisme ; la megestion ; le manque de ressources humaines qualifiées qui pose le problème du capital humain.

 

 

Dr Maurice Simo Djom,  Chercheur en geoéconomie, pense que «  La décentralisation peut faire partie des solutions aux défis de gouvernance que rencontre la sous-région de l’Afrique centrale, à condition que ceux qui détiennent le pouvoir central consentent à lâcher prise ». «   Jusqu’ici, ce n’est pas le cas, l’administration est encore hyper centralisée », déplore-t-il avant de relever : «  Or, si la décentralisation est effective, les collectivités se prendront en charge et certaines appliqueront des méthodes de gestion proches du management des entreprises. Cela créera de l’émulation. Et nous savons que la compétition est la clé du progrès ».

« Une décentralisation  bien appliquée accroît les chances du progrès général mais obère les pouvoirs des roitelets de nos Républiques » poursuit-il.  « En transformant les mentalités, son implémentation sera une réussite. Les citoyens se sentiront comptables de leur destinée et pourront mieux soutenir de manière durable les initiatives de développement de ces pays et du continent ».

 

© Marcien Essimi Bela  

Cet article a été réalisé  par Marcien Essimi Bela  dans le cadre des cours en ligne «Journalisme pour le Développement » organisés par la Région Afrique de la Banque mondiale associée avec l’École supérieure de journalisme (Lille) et le Centre d’études des sciences et techniques de l’information (Dakar), en collaboration avec l’Open Learning Campus de la Banque mondiale

 

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