Déboires : La tragédie de Christian Penda Ekoka

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Déboires : La tragédie de Christian Penda Ekoka

Dès sa nomination comme conseiller technique au Cabinet civil de la présidence de la République, Christian Penda Ekoka s’est irrévocablement engagé sur le chemin qui a conduit à son implosion, en grillant tous les codes. Lorsqu’il s’est retrouvé dans l’impasse, il a opté pour la stratégie du martyr en appelant ouvertement à renverser le régime de Paul Biya en février 2017, dans le vain espoir de se faire révoquer. Mais suivant ses propres aveux faits à un proche, le Grand Stratège Paul Biya a vu son jeu. Le chef de l’Etat que d’aucuns disent lecteur assidu de Machiavel, mais qui ne dédaigne pas la sagesse chinoise, a choisi de l’acculer à l’autodestruction.

 

 

 

Par James Mouangue Kobila

 

J’ai rencontré Christian Penda Ekoka chez lui à Deido, peu après sa nomination au Cabinet civil de la Présidence de la République. L’homme exultait, rayonnant de confiance et sûr de ses tactiques. Alors qu’il me rencontrait pour la première fois à ma demande pour évoquer les problèmes de la jeunesse camerounaise dans tous ses paliers (jeunesse scolaire et universitaire, encadrement de la jeunesse Sawa) il m’a retenu de longues heures pour me parler de ce qui lui apparaissait à l’époque plus important. D’abord son « bras de fer » contre le ministre directeur du Cabinet civil qu’il insupportait par sa désinvolture, affrontement dont il serait sorti victorieux après l’arbitrage du Chef de l’Etat. Ensuite le ministre d’Etat Laurent Esso, alors secrétaire général de la Présidence de la République qu’il s’est appliqué à démonétiser. La conclusion de cet entretien a été consacrée à son autoglorification. Je l’entends encore raconter, devant mes yeux écarquillés, avec force détails, comment l’une des phrases du discours du président de la République à la jeunesse était de son cru.

Quid de mes projets relatifs à la jeunesse camerounaise, me demandera-t-on ? Rien de concret. Je suis sorti de ce rendez-vous unique avec de très vagues promesses. Il fallait lui téléphoner dans telle période. Il me recevrait à Yaoundé… Le moment venu, et depuis lors, à mon grand étonnement, il ne m’a plus jamais pris au téléphone. Serait-ce faute d’avoir manifesté un enthousiasme excessif lorsqu’il vomissait sa bille contre les deux plus proches collaborateurs du chef de l’Etat (ses patrons, comme on dit) à la présidence ? Si c’était le cas, il aurait sans doute raison car j’écoutais cet homme sans principes avec en mémoire la sentence du stratège chinois Sun Zu qui a proclamé que « celui qui se précipite au combat dès son arrivée sur le champ de bataille a déjà perdu la guerre ». Les deux personnalités qu’il a choisi d’affronter cumulaient en effet chacune, à l’époque, plus de 20 ans de service auprès du chef de l’Etat, à divers titres et sont loin d’être nées de la dernière pluie.

Quelques années plus tard, je l’ai retrouvé à l’Assemblée générale du Ngond’a Sawa qui se tenait à la salle des fêtes d’Akwa. Nous ne nous sommes pas véritablement parlé, mais l’homme avait perdu sa splendeur. Il était triste, hagard et renfrogné. Il promenait des regards dans la salle, à la recherche d’on ne sait quoi. Arrivé très en retard, il est reparti avant la fin des travaux, de sorte que nul n’a pu lui parler. Il m’a donné le sentiment d’être une sorte d’hurluberlu groggy et tourmenté, à la manière d’un boxeur qui venait de recevoir un uppercut et qui était à la recherche d’un second souffle, avec son air perpétuel de quelqu’un « désireux de satisfaire sa concupiscence » et qui se livre à de « mauvaises habitudes cachées », évoqué par Georges Gurdjieff dans son livre Rencontre avec des hommes remarquables.

A l’évidence, ses tentatives grotesques d’abattre Laurent Esso (pour prendre sa place ?) ou d’asseoir sa domination sur le Cabinet civil du président de la République n’avaient pas rencontré le succès escompté. Et pour cause, il a continué de jouer sur le registre qui lui avait valu sa nomination au Cabinet civil. Il ne s’est jamais adapté à son nouvel environnement de travail. En bref, enfermé dans son propre système, il n’a jamais compris  que What got you here won’t get you there (ce qui t’a amené ici ne te conduira pas là-bas), d’après le titre du célèbre ouvrage de Marshall Goldsmith.

C’est cette forte impression de lui qui était restée imprimée dans ma mémoire, jusqu’à ce que je découvre sa tribune malfaisante, suintant l’amertume et truffée de contre-vérités, publiée en février 2018, où il « dénonce un défaut génétique [du] système de gouvernance publique » de Paul Biya, un défaut qui, selon lui, « ne peut être corrigé qu’en modifiant l’ADN du système », avant d’appeler explicitement à renverser du régime en place à Yaoundé. Citant Jawaharlal Nehru au Parlement indien, le 14 août 1947, il écrivait : « [l]’instant est là, un instant rarement offert par l’Histoire, quand un peuple sort du passé pour entrer dans l’avenir, quand une époque s’achève, quand l’âme d’une nation, longtemps étouffée, retrouve son expression ».

 

 

Comment expliquer qu’après une telle analyse, Christian Penda Ekoka se soit accroché à son poste jusqu’à cette veille de la présidentielle du 7 octobre 2018 ? Ce texte était sidérant déloyauté vis-à-vis du président de la République qu’il prétendait continuer de servir et dont il s’est récemment targué d’être le conseiller sur la Chaîne de télévision Canal 2. Posons la question : a-t-on jamais un « conseiller » donner des conseils à son patron à travers la presse ? Assurément, non. Si Penda Ekoka a cru bon de le faire, c’est certainement parce que ses combats insensés et simultanés contre le SGPR de l’époque et le Directeur du Cabinet civil lui avaient fermé toutes les portes d’accès au chef de l’Etat. Point n’est en effet besoin de remonter à la haute antiquité pour comprendre que nul ne peut réussir à se faire entendre à la présidence de la République s’il s’aliène ces deux piliers de l’architecture du pouvoir présidentiel.

En février 2017, il présentait le Cameroun comme un « Etat totalitaire » qui « terrorise les libertés ». Il faut totalement galvauder le sens du terme « totalitarisme » ou s’appeler Christian Penda Ekoka pour ainsi caricaturer le Cameroun. Le Lexique de science politique indique ainsi que le totalitarisme suppose la mise en place d’un « parti unique contrôlant l’ensemble des instances politiques nationales et locales […] en isolant chaque individu du reste de la société » (Dalloz, 2017, p. 617).  Les auteurs citent comme exemples d’Etats totalitaires l’URSS stalinienne, l’Allemagne nazie, l’Italie fasciste ou la Corée du Nord. Quel être capable de réfléchir normalement peut comparer au Cameroun à ces pays sans déraisonner ? Quel être qui se donne le nom d’homme peut affirmer que le Cameroun vit sous un régime de parti unique ou que ce pays a jamais connu un régime de parti unique totalitaire qui contrôle de manière absolue tous les aspects de la vie politique et économique, ainsi que la vie sociale et la vie spirituelle des citoyens ?

Il est surtout frappant de constater qu’aujourd’hui, à la suite des organisations internationales comme l’ONU, même les organisations prétendument non gouvernementales de défense des droits de l’homme comme Human Rights Watch qui critiquaient le gouvernement sur la gestion du problème anglophone sont aujourd’hui d’accord que les seuls terroristes au Cameroun sont les sécessionnistes et Boko Haram que l’Etat combat avec professionnalisme. Cinglant démenti aux assauts de cet oiseau de bas vol.

En ma qualité de spécialiste, entre autres, du droit international économique et auteur, entre autres également, d’une étude scientifique sur « Les relations entre le Cameroun et le FMI » (communication au Colloque de Ngaoundéré en mai 2013), j’ai été sidéré de voir celui qui passe aux yeux d’un grand nombre de personnes pour un économiste de renom dénoncer tantôt ce qu’il considère au premier degré comme des « dévoiements dans la mise en œuvre des réformes structurelles préconisées » par les institutions de Bretton  Woods pendant les 20 ans d’ajustement structurel entre 1987 et 2006.

Quoiqu’il en soit, Christian Pendant Penda Ekoka dit une chose et son contraire, car dans sa tribune publiée en février 2017 sous le titre « Le soulèvement anglophone : une opportunité historique pour réexaminer nos institutions actuelles pour un leadership inclusif », il reprochait au Cameroun de n’avoir pas fait ce que préconisait le FMI. Or, c’est le même Penda Ekoka qui dit, dans Le Messager du 5 septembre 2018, que « quand le FMI congratule les dirigeants de l’Economie et des Finances d’un pays, je deviens très inquiet pour le développement de ce pays » (p. 3). Ainsi, Christian Penda Ekoka « conseille » à la fois d’appliquer les préconisations du FMI et de ne pas les appliquer.

Ces illustrations des gribouillages politico-économiques de Christian Penda Ekoka témoignent de ce que l’amertume qui l’anime lui dicte des sentiments hostiles et des propos inintelligibles contre ceux qu’il tient pour responsables de ses déboires. Ils attestent surtout son ignorance profonde des codes politiques du Cameroun, ou plus exactement, pour reprendre le titre d’un ouvrage célèbre, du Code Biya.

Au lendemain de son vacarme de février 2018, son badge d’accès à la présidence est retiré. Notre homme y voit naturellement la main de sa bête noire, le Directeur du Cabinet civil de l’époque, le ministre Martin Belinga Eboutou. Mais contre toute attente, Paul Biya qui aurait pu en tirer avantage pour l’« assassiner avec le couteau d’un autre », suivant la l’expression consacrée, a plutôt choisi la stratégie du contre-pied prônée par Frédéric Le Grand (1712-1786) en demandant qu’on lui restitue son badge. Penda Ekoka ne sera pas un martyr. Il a de nouveau accès à son bureau au Palais d’Etoudi.

Le plus curieux est que, ne se rendant même pas compte de ce qu’il s’avançait lentement mais sûrement vers son propre tombeau politique, Christian Penda Ekoka se vantait en privé d’avoir réussi à conserver son poste, croyant avoir remporté une victoire de plus sur son n+1, Martin Belinga Eboutou.

Il a donc continué, de tribunes en interviews, d’inonder la presse de ses pitoyables élucubrations irrationnelles, inutilement violentes et nauséabondes, célébrées par le commun avec l’enthousiasme de ceux qui croient avoir compris le fin mot d’une histoire énigmatique. Ne sachant pas qu’après avoir dilapidé le capital de confiance qui avait justifié à nomination à la présidence de la République, il était en train de s’auto détruire, son processus d’implosion ayant été enclenché de longue date.

Le fait est que Paul Biya n’a probablement pas simplement choisi d’adopter une position de retrait pour attendre que s’épuisent naturellement les forces de ce curieux personnage, comme les dieux grecs remportaient la victoire en fatigant les bras de l’adversaire. Il a plutôt choisi, s’inspirant vraisemblablement du livre chinois des 36 stratégies, de le plonger en premier lieu dans la tourmente sans le frapper directement, en lui envoyant des signaux contradictoires (stratégie n° 4). Il a ensuite retenu l’enseignement des maîtres chinois qui ont constaté, du haut de leur civilisation cinq fois millénaire, que « toute violence finit par se détruire elle-même » lorsque se manifeste clairement la confusion (stratégie n° 9). Enfin, le Grand Stratège d’Etoudi a patiemment canalisé ce collaborateur déchaîné vers l’impasse dans laquelle qui s’est retrouvé (stratégie n° 15). C’est ainsi que Christian Penda Ekoka n’est « sorti du bois » qu’à quelques semaines de la présidentielle du 7 octobre 2018, pour lancer son « Mouvement » qui prendra  « fait et cause publiquement pour l’un des candidats de l’opposition » (Jeune Afrique du 2 au 8 septembre, p. 32) alors qu’il n’a jamais démissionné de son poste de conseiller technique au Cabinet civil de la Présidence.

Se rendra-t-il à Etoudi entre deux meetings en faveur d’un candidat de l’opposition ou a-t-il d’ores et déjà cessé de s’y rendre ? Quoiqu’il en soit, ses sorties dans le panafricain Jeune Afrique et sur les réseaux sociaux interviennent au pire moment pour ce genre d’initiative, alors qu’il est défait et brisé.

Ce « Mouvement » moribond qu’il prétend lancer, alors que le paysage politique et associatif est fixé et saturé dans tous les compartiments est une autre illustration de son fourvoiement politique. Il espère sans doute jouer les seconds rôles dans quelque état-major de candidat de l’opposition. Mais tout candidat qui s’attacherait ses services sait au moins à quoi il devra s’attendre : Christian Penda Ekoka lui fera la même chose qu’à Laurent Esso et à Belinga Eboutou et à Paul Biya. On ne se refait pas.

 

Une Correspondance particulière de du Professeur James Mouangue Kobila

 

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