JE SUIS UN NORDISTE À QUI LE SUD A TOUT DONNÉ
L’actualité récente a mis en exergue le grand fossé qui se creuse entre le Nord et le Sud, deux parties d’un même pays, en l’occurrence le Tchad. Cette division réelle ou imaginaire, entretenue à dessein par les politiciens de ce pays depuis l’aube des indépendances qui n’ont fait qu’aggraver le sentiment d’injustice envers une partie du pays au détriment de l’autre partie du pays, plus favorisée. Et ce sentiment d’injustice conduit irrémédiablement à l’expression des sentiments enfouis au plus profond de nous même, raison pour laquelle tous les différents actes du gouvernement sont tous scrutés sous le prisme communautaire.
Je suis comme des milliers d’autres tchadiens du nord ayant passé une partie de leur vie dans le Sud du pays, spectateur impuissant de cette rhétorique anti vivre-ensemble qui fait florès sur les réseaux sociaux, alimentée par des gens des deux côtés qui ne connaissent rien de l’autre. Et surtout à mes frères nordistes qui n’ont jamais mis pied dans cette partie du pays et qui de par leurs écrits attisent la haine contre le sudiste, c’est ce qui accentue ce sentiment d’injustice envers l’autre.
Moi j’ai grandi à Moundou, mais mes petits y sont presque tous nés là-bas. J’ai effectué toute ma scolarité avec des amis et des enseignants sudistes, les meilleurs que je puisse avoir, ma famille et moi habitions les quartiers sudistes, nous étions les seuls nordistes pour ne pas dire les seuls musulmans dans ce quartier qu’on appelait “Doumbeur 2” et tout se passait dans le meilleur des mondes. Mes amis sudistes m’appelait “n’gône lé njé mobile” qui veut dire en N’gambaye “l’enfant du propriétaire de la station mobile “, puisque mon père avait une station d’essence dans le quartier. J’étais un parfait locuteur de la langue locale, je faisais office d’interpréte pour mes parents. Avec mes amis, nous conversions en langue n’gambaye. L’école tchadienne et plus particulièrement celle du sud était la meilleure du Tchad, c’était une chance pour nous d’avoir pu bénéficier de cet enseignement de qualité avec des enseignants sudistes dévoués qui ne faisaient pas la différence entre un Mahamat et un Mbairamadji. Si aujourd’hui j’arrive à aligner quelques en français, c’est largement grâce à mes enseignants, du primaire au secondaire. Je ne connaissais pas l’ethnie des mes amis et eux ne connaissent pas non plus mon ethnie, on se contentait juste d’être tchadiens et nos sentiments d’amitié étaient sincères et réciproques. Nos parents qui venaient en visite à Moundou, nous appelaient “n’gambaye “, c’est dû au fait qu’à leurs yeux nous sommes plus sudistes que nordistes par ce que nous sommes restés trop longtemps dans cette partie du pays.
Et de cette vie passée là-bas, j’ai retenu deux choses essentielles, la solidarité et l’esprit de tolérance qui prévaut dans cette partie du pays n’a que d’égale leur infinie générosité. Une anecdote illustre bien ce sentiment de solidarité: en partance pour Faya Largeau en 2014, nous nous faisons arrêté à Kouba Olanga par un gendarme sudiste, il demande à chacun de présenter sa carte d’identité avant d’embarquer sur le véhicule , carte que je n’avais pas sur moi. Je décide de lui parler en N’gambaye, chose qu’il ne s’attendait pas. Non seulement il m’a laissé embarquer sans ma carte, il m’a demandé d’où est-ce je venais et où est-ce que j’avais appris sa langue ? Il était fou de joie de retrouver un frère a lui, un N’gambaye en terre gourane. Il suffit que tu parles sa langue, le sudiste te considère comme son frère, je connais de quoi je parle.
Mais à ceux qui prônent la division de ce pays, je leur dis que je suis tout aussi sudiste qu’eux, même si je m’appelle Mahamat. À ceux qui parlent des sudistes sur les réseaux sociaux et autres forums , ils ne savent rien de ce peuple, ils n’y ont dans leur majorité jamais mis pied là-bas. Le nord du Tchad à encore besoin des enseignants sudistes, des médecins sudistes, des ingénieurs sudistes, des fonctionnaires sudistes, ce pays est le leur tout comme il est le nôtre, à part égale, sans injustice et sans discrimination.
Le vivre ensemble et la justice ne doivent pas être des vains mots. Ce qui fait la puissance des États-Unis, c’est son unité dans la diversité. Un pays qui n’est pas juste avec ses propres concitoyens est un pays qui coure directement vers sa division.
MAHAMAT SALEH AHMAT NOKOUR