Pillage et Massacres à l’Est de la RDC : Paul Kagamé et les millions de morts à l’est du pays
► L’interaction entre le génocide rwandais et l’opération turquoise, en République Démocratique du Congo, RDC, semble invraisemblable. Pourtant, l’essayiste franco- camerounais Charles Onana pose un regard sur le rôle du président rwandais, dans ce flou qui connait à ce jour, environ 10 millions de morts à l’Est de la RDC.
La Voix Des Décideurs ► Paul Kagamé est l’un des présidents africains les plus appréciés, sur le continent, au regard des prouesses socioéconomiques qu’il engrange au Rwanda. La qualité de vie s’est nettement améliorée, des infrastructures ultra modernes émergent, l’industrie connait une embellie lui permettant de se hisser au rang des pays producteurs de smartphones entièrement réalisés localement… Des exploits extraordinaires, surtout pour un pays subsaharien qui sort d’un génocide vécu en 1994.
L’émergence du Rwanda telle qu’elle est présentée et perçue par le commun de l’opinion, n’est pas toujours de l’avis de certains investigateurs à l’instar du journaliste franco-camerounais Charles Onana. Le journaliste d’enquête y décrypte les effets d’une histoire passée à la dérive des mots. L’auteur de « Rwanda : La vérité sur l’opération turquoise », à travers un exercice épistolaire poignant, se livre à une « exhumation » de la « vérité occultée », dans son ouvrage de plus 650 pages.
Pourquoi cet ouvrage en ce moment ?
Sur la question de la raison d’être de cet ouvrage en ce moment précis, l’essayiste Charles Onana, invité de la journaliste Christine H. Gueye dans son émission hebdomadaire “L’invité Afrique de Sputnik France”, ne va pas de main morte et argue de manière péremptoire que « …l’histoire officielle est fausse. Et c’est surtout parce que, pendant 25 ans, on a essayé de nous imposer une version. Mais lorsque j’ai consulté les archives des Nations Unies, je me suis rendu compte qu’on nous a beaucoup menti ». Le propos, ainsi avancé, trahit une falsification de l’histoire autour de cette opération turquoise engagée par la France en RDC, mais également, et surtout du génocide du Rwanda.
De ce génocide, il est communément admis qu’entamé le 06 avril 1994 par un attentat sur l’avion présidentiel qui coute la vie aux présidents Cyprien Ntaryamira du Burundi et Juvénal Habyarimana du Rwanda, à l’Aéroport de Kigali, l’hécatombe provoquée par la mort de ce dernier va conduire, au Rwanda, à l’extermination d’environ un million de Tutsi par l’Interahamwe, des milices hutus créées par le régime, et une partie de l’armée rwandaise. Mais qui se cache derrière ce regrettable épisode de la vie politique dans cette partie de l’Afrique ?
Les archives des Nations Unies consultées par le journaliste d’investigation l’amènent à la conclusion selon laquelle : « c’est Paul Kagamé soutenu par les Etats-Unis et l’Ouganda… ». Un doigt accusateur qui va lui valoir une assignation au tribunal, quoique s’en suit un rétropédalage comme le précise le journaliste à sa consœur Christine H. Gueye de Sputnik : « lorsque le président Kagamé a quand même déposé une plainte devant la dix-septième chambre contre moi ; il n’y avait pas que le Président Rwandais, il y avait l’Etat rwandais. Donc, j’ai eu deux grandes plaintes qui ont été retirées 48 heures avant le début du procès… ».
De l’attentat du 6 avril 1994 au mois de juin de la même année, le génocide se déroule en présence des puissances occidentales que sont la France et la Belgique, qui sont pourtant déployées au Rwanda dans le cadre de la Mission des Nations Unies d’Assistance au Rwanda (Minuar). Aucune intervention, ni interposition, ne se fait par cette mission. La stupéfaction est à son comble. Les Nations Unies seraient-elles complices d’une telle situation ? La question demeure lancinante.
Le 23 juin 1994, contre toute attente, le gouvernement français lance l’« Opération Turquoise ». L’opération militaro-humanitaire, adoubée par l’ONU, va se déployer dans ce pays qui s’appelait alors Zaïre, mais très particulièrement dans la localité de Goma, à l’Est du pays.
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Cependant, les vrais tenants et aboutissants de cette intervention alors instigué par le Premier Ministre français Edouard Balladur, semblent échapper à ce dernier, selon Charles Onana : « Son Premier Ministre (de François Mitterrand : ndlr) Édouard Balladur, quand il a dit Non ! Non ! Il faut qu’on fasse l’Opération Turquoise au Zaïre, c’est-à-dire le déploiement de l’Opération Turquoise, c’était à Goma. Mais le premier Ministre Édouard Balladur n’a pas compris qu’en fait, Goma était l’aéroport international du trafic de diamant et de coltan ; que ceux qui avaient placés Kagamé au pouvoir allaient l’utiliser après pour exploiter les ressources du Zaïre. Voilà la stratégie qui a été utilisée. Et quand on ne comprend pas cette interaction entre les mines de coltan et de diamant et de tous les minerais de l’Est du Congo, on ne comprend pas ce qui se passe sur ce que l’on va appeler le génocide au Rwanda ».
L’opération turquoise, un écran de fumée ?
A en croire le politologue Onana, le contexte autour du génocide au Rwanda est un facteur programmé pour aboutir à la situation que va subir l’Est de la RDC, jusqu’à nos jours, à partir de la prise de pouvoir de Paul Kagamé au Rwanda.
« … je pense, et j’ai l’habitude de dire qu’en fait, ce que les gens ne comprennent pas dans cette l’histoire-là, c’est que toute cette aide à Kagamé c’était pourquoi ? C’était pour obtenir les mines de Coltan et de diamant à l’Est du Congo. Parce que les gens ne comprennent pas, eh bien ! On reste sur le massacre etc. Mais on a laissé tout ça se faire parce que ceux qui voulaient mettre Kagamé au pouvoir devaient être récompensés par les mines de Coltan et de diamant en République Démocratique du Congo. C’est pour ça que la République Démocratique du Congo, aujourd’hui, vit une situation terrible ».
La situation critique dont fait allusion Charles Onana, au cours de l’émission « L’invité Afrique de Sputnik France », est l’atteinte de près de 10 millions de morts à l’Est du Congo démocratique, et dont le mutisme autour de la question de ces morts de l’Est du Congo reviendrait à « interroger le rôle et l’action de Kagamé et du Rwanda sur le territoire congolais ». Personne ne veut donc en parler. Cependant, la réalité traduite par cette situation apparait immuable, « c’est-à-dire qu’on a dépassé le nombre de morts qu’il y a eu dans la tragédie rwandaise ; on a déplacé l’ensemble de la population rwandaise de 1994, c’est-à-dire près de 6 millions de personnes ».
En outre, la stratégie bien huilée, continue d’écarter l’opinion internationale et africaine en particulier, de la réalité sur la montée fulgurante de Kagamé, comme le souligne Charles Onana : « le plus difficile c’est que l’on comprenne que la prise de pouvoir de Kagamé est liée au renversement de Mobutu. Puisqu’en 97 c’est Kagamé qui vient renverser le Maréchal Mobutu avec l’aide des Etats-Unis et de l’Ouganda ».
La thèse soutenue par une bonne frange de la population congolaise semble donc trouver forte justification dans l’argumentaire de Charles Onana qui par la même occasion ne manque pas de préciser que les Congolais défenseurs de la thèse « … aujourd’hui, ont des éléments de preuve, c’est-à-dire qu’en fait, je vais encore beaucoup plus loin que ça, ce que j’appelle l’invasion masquée du Zaïre en 94, quand j’ai analysé la stratégie militaire d’occupation territoriale du Rwanda, je me suis rendu compte que Paul Kagamé a fermé la frontière avec la Tanzanie, a fermé la frontière avec le Burundi et toutes les populations étaient dirigées vers l’Est du Congo. Parce qu’il avait en prévision d’envahir le Congo. Mais on ne pouvait pas envahir le Congo comme ça brutalement, militairement… Il fallait qu’on trouve un prétexte. Et le prétexte c’était lequel, il y a des génocidaires qui sont réfugiés à l’Est du Congo. Et depuis plusieurs années les génocidaires se trouvent autour des mines de diamants, de coltan de la République Démocratique du Congo, dans lequel on trouve de nombreux rapports des Nations Unies qui démontrent que le Rwanda pille les richesses du Congo et vend le Coltan à Kigali ».
Rwanda pilleur, Ghana battant
Le Rwanda présenté comme un modèle d’émergence économique en Afrique, la pilule est difficile à avaler pour le spécialiste des questions politiques en Afrique au sud du Sahara. « Non mais ça c’est la propagande, d’ailleurs ce qui serait intéressant c’est qu’on sache d’où… » Son opposition, il va jusqu’à l’établir d’avec les prouesses du Ghana, qui s’illustre également comme un modèle économique sur lequel les regards peuvent être portés sur le continent « … écoutez, quand on me parle du Ghana on me dit que le Ghana est un pays qui se bat, mais parce que le Ghana ne travaille qu’avec ses ressources. Le Ghana ne va pas piller les ressources du voisin ».
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Et bien au-delà de ces comparaisons, Charles Onana trouve en la belle image que l’on fait du Rwanda, le fait d’un regard biaisé des occidentaux et des africains qui se font une appréciation tout aussi biaisé : « Bon alors le Rwanda, il faut qu’on nous dise d’où viennent les ressources du Rwanda pour faire ce qu’ils sont en train de faire au Rwanda. Je pense que ce soit les Occidentaux ou les Africains qui prennent le Rwanda comme modèle. Il faut qu’ils se demandent clairement d’où viennent les ressources du Rwanda pour construire ce pays. Si on viole les femmes à l’Est de la République Démocratique du Congo, et qu’on se tait ; si on massacre les populations civiles, si on utilise les enfants dans les mines de diamant et de coltan, si chaque jours les populations congolaises sont en instabilité permanente jusqu’ à la tête du pays parce que le Rwanda mène des incursions qui sont aujourd’hui démontrées par la Monusco (Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo : ndlr). Je pense que ce n’est pas très sérieux. Ce n’est pas très correct ».
C’est donc dire, du point de vue des éléments mis sur l’agora, par le journaliste d’enquête Charles Onana, que la situation chaotique qui se déroule actuellement à l’Est de la RDC et dont les causes vont bien plus loin que le simple regard sur le génocide rwandais de 1994, relève du politiquement incorrect, en somme.
© Eric Martial Ndjomo E. ► La Voix Des Décideurs