Chronique – Liberté de manifestation au Cameroun : quête permanente pour l’opposition ou acquis pour le parti au pouvoir et les partis satellites ?

 

La Voix Des Décideurs  – Le 26 mai 1990, le Social Democratic Front (SDF), parti d’opposition, voit le jour à Bamenda à la suite d’une grande manifestation publique. Les images qui inondent les médias font écho au rang des victimes de violence policières bon nombres de morts et des blessés à l’infini.

Au nom de quoi ces citoyens manifestaient-ils ? La réponse est simple au nom de la liberté d’expression uniquement. Pour rappel mémoire le Cameroun a acquis son indépendance dans la douleur, en 1966 le Président du Cameroun, Ahmadou Ahidjo a créé l’Union Nationale Camerounaise qui a dirigé le pays en tant que parti unique.

 

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Malgré la mutation opérée le 25 mars 1985 en substituant l’UNC au Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), rien n’a changé dans sa substance puisque le même principe de parti unique qui continue jusqu’en 1990. A la faveur du vent de l’Est et la destruction du mur de Berlin, un nouveau souffle de liberté a soufflé sur le monde et le Cameroun. Il y a eu dont une manifestation populaire à grande échelle jusqu’à la création, dans un bain de sang du deuxième parti politique au Cameroun suite à une série de lois adoptées par le parlement dite loi de 1990 qui consacre la « liberté » tout simplement.

Novembre 2016, les enseignants et avocats de la zone anglophone ont manifesté publiquement pour s’indigner contre la « francisation » du système éducatif et judiciaire. Les forces de maintien de l’ordre ont riposté violemment avec  armes au poids. L’on a compté de nombreux blessés au nom du « trouble à l’ordre public »

 

 

Le 26 janvier 2019, les images d’hommes en tenue ouvrant le feu sur des manifestants dans les villes de Douala et Yaoundé ont fait le tour des réseaux sociaux. La riposte a fait suite aux manifestations publiques lancées par le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), parti politique d’opposition, qui conteste le hold up électoral à l’issue du scrutin présidentiel du 07 octobre 2018.

Ces situations factuelles illustrent clairement l’épineux problème de la jouissance de la liberté de manifestation au Cameroun lorsqu’on est de l’opposition, quand bien même les organisateurs de la manifestation publique informent l’autorité administrative, mais la quasi-totalité de leurs déclarations sont interdites et le site barricadé par les forces de maintien de l’ordre.

Toute la question est de savoir que doivent faire les partis politiques d’opposition face à cette discrimination de l’autorité administrative. Avant d’y consacrer les développements substantiels, il serait judicieux, au préalable, de revisiter le régime des manifestations publiques qui tend à être continuellement dénaturé au nom de la préservation de l’ordre public.

Le régime des manifestations publiques au Cameroun

Une manifestation est une réunion organisée sur la voie publique dans le but d’exprimer une conviction collective, la manifestation est un événement traditionnel de la vie politique et sociale et l’un des plus importants se déroulant à l’extérieur des enceintes politiques. Elle constitue un moyen de pression à l’égard du pouvoir politique.

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La liberté de manifestation publique est un principe fondateur des démocraties modernes. Elle est l’une des figures les plus concrètes de la liberté d’expression. Si elle peut être exercée par les personnes ou mouvements acquis au parti au pouvoir, elle est particulièrement convoitée par les partis d’opposition comme moyen d’expression de leurs désaccords à l’égard de la politique mise en œuvre par le parti pouvoir.

Le pouvoir et la capacité de manifester sont inhérents à l’espèce humaine et consacré par les droits de l’homme. D’ailleurs, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 affirme, dans son article 11, dispose que La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

 

 

La liberté de manifestation publique a été consacrée au Cameroun comme expression du caractère démocratique de l’Etat. Elle prend source dans la Constitution révisée du 18 janvier 1996 qui affirme dans le préambule son « attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, la Charte des Nations Unies, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et toutes les conventions internationales y relatives et dûment ratifiées ».

Cette liberté est aménagée par la loi N°90/055 du 19 décembre 1990 fixant le régime des réunions et des manifestations publiques. Pour sa mise en œuvre, la manifestation publique est soumise au régime de la déclaration préalable sept (7) jours francs au moins avant la date de la manifestation. Elle est adressée au sous-préfet qui reçoit la déclaration et en délivre immédiatement récépissé.

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Le régime de la déclaration oblige donc l’autorité administrative à prendre toutes les dispositions sécuritaires pour encadrer la manifestation envisagée. Cependant, la liberté de manifestation publique n’est pas absolue. Si la manifestation publique projetée est de nature à troubler gravement l’ordre public, l’autorité administrative dispose d’une alternative : soit assigner un autre lieu ou un autre itinéraire à la manifestation, soit l’interdire par arrêté.

 

 

 

Force est de constater que, dans la pratique, l’autorité administrative recourt très souvent à l’interdiction des manifestations publiques au nom de la préservation d’un ordre public difficilement identifiable, dénaturant l’esprit de la loi tout en violent la liberté de réunion. Elle procède parfois à des interdictions générales et absolues portant ainsi atteinte à une liberté fondatrice de la démocratie libérale. En de très nombreuses occasions, notamment en cas de violation de l’interdiction de manifestations publiques, l’autorité administrative fait recours aux forces de maintien de l’ordre qui n’hésitent pas à faire usage des armes à feu en dépit de l’interdiction de principe consacrée.

Que doivent faire les partis politiques face aux multiples interdictions de manifestation publique de l’administration ?

Face aux interdictions permanentes de manifestation publique, le parti requérant a une alternative soit obtempérer et surseoir ou alors s’entêter à poursuivre l’organisation.

Dans le premier cas, il a la possibilité d’abandonner son projet ou alors faire un recours devant le juge administratif conformément l’article 8(3) de la loi N°90/055 du 19 décembre 1990 fixant le régime et manifestation publique, qui dispose qu’ «En cas d’interdiction de la manifestation, l’organisateur peut, par simple requête, saisir  le président du tribunal de grande instance compétent qui statue par ordonnance dans un délai de 8 jours de sa saisine, les parties entendues en chambre du conseil ».

 

 

Dans le second cas encore appelé coup de poing, l’organisateur s’entête à organiser sa manifestation en dépit de l’interdiction. L’autorité administrative met tout ce qui est à sa disposition pour dissuader la foule, en usant le plus souvent de la répression policière pouvant aboutir à des bavures. Il est important de noter que c’est le propre des partis politiques d’opposition au Cameroun parce que la quasi-totalité de leur manifestation est interdite au nom supposé de l’ordre public. Alors que la manifestation publique obéit au régime de la déclaration, l’administration l’a transformé en régime d’autorisation violant de ce fait le principe sacré de la liberté de réunion et de manifestation qui font partie intégrante des droits de l’homme dans une démocratie libérale.

En définitive, l’administration devrait faire preuve d’impartialité et de neutralité dans le traitement des  concitoyens, l’administration une fois installée est faite pour gérer toutes les affaires concernant la vie et la liberté de tous. L’administration ne devrait pas seulement servir le parti au pouvoir ou alors le parti au pouvoir ne devrait pas utiliser l’administration pour restreindre la vie et la liberté des autres partis politiques.

 

By Stéphane Mbanzé │ Juriste

 

 

 

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